justice, nos droits

La solidarité nationale c’est fini pour les salariés

Je vous avoue que je me suis pas mal énervé en l’écrivant.  
Sans rire, j’ai sauté plusieurs fois de ma chaise (et du coup pas mal fatigué mes collègues de bureau)
Pour que cette énergie ne soit pas perdue, j’aimerais le compléter ici par quelques réflexions qui n’ont pas forcément leur place dans un cadre professionnel.
Et puis aussi parce je crois que le sujet est important.  
(Nettement plus que la « fin du monde », c’est promis). 
Et parce que ça nous concerne tous. 
 
Ne fuyez pas.  
Je vais essayer de rendre ça intéressant. 
(et pas trop technique)

La première chose à savoir, c’est qu’il y a en France un régime spécial destiné à réparer les accidents du travail.(P. 9 et suivantes)
Ce système permet à la victime d’un accident du travail (et par extension à la victime d’une maladie professionnelle) d’obtenir forfaitairement la réparation du dommage qu’elle a subi directement de la sécurité sociale et non de son employeur. 
A charge pour la sécurité sociale de récupérer  les sommes versées à la victime auprès de l’employeur sous la forme d’une majoration de ses cotisations. 
 
Ce mécanisme est basé sur la solidarité collective et les compromis mutuels. 
D’un coté, l’ensemble de la collectivité accepte de cotiser pour permettre d’avancer les sommes nécessaires aux soins et à la subsistance de la victime tandis que celle-ci accepte en échange que cette réparation ne soit que forfaitaire. 
 
Une première brèche majeure a été introduite dans cet édifice en 1997 lorsque la loi a permis aux employeurs de s’assurer contre les conséquences de leur « faute inexcusable » 
Dans le sillage du scandale de l’amiante, il s’agissait  de permettre qu’une partie de la charge financière des maladies professionnelles et des accidents du travail puisse être supportée par le privé. 
Initialement, la faute inexcusable correspondait aux cas les plus graves. Des situations rarissimes lors desquelles l’employeur avait sciemment mis en danger son salarié.
Mais en  Février 2002 la Cour de Cassation a étendu considérablement la définition de la « faute inexcusable » en considérant comme responsable d’une telle faute l’employeur qui pouvait avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et n’a pas mis en place les moyens de prévention nécessaires.
Par contrecoup, ces décisions ont renforcé l’intérêt de l’assurance au titre de ce risque et fait basculer un peu plus la réparation des risques professionnels du champ de la solidarité nationale vers le domaine de l’assurance privée. 
 
Le coup de boutoir suivant a étédonné par le Conseil Constitutionnel à l’occasion de sa décision du 18.06.2010 (dont j’avais abondamment parlé ici)
Dans cette décision, le Conseil avait considéré comme contraire à la constitution la partie du système de réparation forfaitaire imposé aux victimes qui les enpéchait de se voir indemniser l’ensemble de leurs préjudices et imposé le principe de la réparation « intégrale ». 
Je ne vais pas m’en offusquer. 
Comment expliquer à un homme qui s’est coupé le bras avec une scie durant le travail qu’il n’a pas le droit de toucher autant qu’un individu dont le bras a été amputé à la suite d’un accident de la route ? 
 
Pas facile, c’est vrai. 
Mais c’est précisément cette relative injustice qui rendait tenable le système de solidarité.
Ce système reposait sur un compromis qui a été remis en cause par un accroissement des droits des victimes qui aboutit a faire supporter une nouvelle charge majeure à la collectivité.  (pour les détails techniques c’est par là. – vers la page… 422)
 
Confronté à cet accroissement des dépenses, le gouvernement qui, on le sait, est tenu par des impératifs budgétaires intenables, vient donc d’assener un coup majeur au mécanisme de solidarité.
Il aurait tord de se gêner d’ailleurs, puisque cela vient de se faire dans une relative indifférence. 
(Et puis, par les temps qui courent on n’a plus le temps de rien, trop occupés à grogner sur les gays, les musulmans ou les exilés fiscaux)
 
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 figure un  article 86 applicable à compter de 2013. 
Ce texte prévoit notamment que l’employeur ne devra plus rembourser au long cours le montant de l’indemnisation de la victime sous la forme d’une majoration de ses charges sociales,  mais devra verser directement à celle-ci un capital
Autant vous dire que les employeurs de petite et moyenne envergure devront correctement s’assurer ou risquer le dépôt de bilan. 
D’autant que le même article 86 les empêche désormais de s’exonérer du paiement dans l’hypothèse ou la sécurité sociale n’aurait pas correctement respecté le principe du contradictoire lorsqu’elle a reconnu le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

 

En somme, l’état qui ne sait plus où trouver l’argent vient :  
  • de transférer une charge qui était jusqu’ici celle de la sécurité sociale vers les entreprises
  • de priver ces mêmes entreprises de leur principal moyen de défense en pareil cas

On ne va pas faire ici un procès d’intention au gouvernement s’agissant d’une mesure purement technique qui aurait probablement été adoptée dans les mêmes conditions sous le gouvernement précédant. 

Mais si l’on résume le mouvement, le compromis collectif qui fondait la matière a été remis en cause en l’espace d’une décennie. 
Pour de très bonnes raisons, bien sûr.
Qui s’oppose à ce que les victimes soient justement indemnisées ? 
Qui souhaite que la sécurité sociale aggrave encore son déficit ?
Reste qu’on a substitué à un système fondé sur la solidarité nationale un mécanisme qui ne pourra tenir que gràce à des assurances privées qui n’auront d’autre choix que d’assurer les employeurs à des tarifs exorbitants et sous des conditions drastiques. 
(une pensée pour les employeurs individuels et les PME qui n’auront pas les moyens de souscrire à de tels contrats)
J’exagérais vraiment lorsque j’ai titré cet article « la solidarité nationale c’est fini pour les salariés ». 
Mais pas tant que cela. 
————–
 
Un dernier mot avant de finir pour vous dire que c’est désespérant.
Voilà un sujet important, qui concerne des milliards d’euros, « le vivre ensemble » et notre sécurité sociale à tous.
Et je ne vois pas comment vous en parler d’en parler sans commettre un article si long que la plupart d’entre vous ne seront pas allés au bout. 
En termes d’efficacité les politiques ont probablement raison de débattre à coup de slogan. 
Ce serait bien que l’on ait envie de mieux.
(Ce qui est aussi une manière de vous remercier d’être arrivés au bout de ce texte).

 

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